EIRL en difficulté : Recevabilité de la déclaration de créance d’un créancier non professionnel

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RICAU Julie

Collaboratrice

Cass. com., 6 mars 2019, n°17-26.605

Lorsque le jugement d’ouverture et la publication qui en est faite au BODACC prononcent l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre d’un entrepreneur individuel sans préciser que le débiteur exerce son activité sous le régime d’EIRL, la procédure collective est alors ouverte, non pas à l’égard de l’EIRL, mais à l’encontre de l’entrepreneur individuel.

Par conséquent, la banque créancière personnelle de l’entrepreneur individuel peut valablement déclarer sa créance à la procédure collective de ce dernier, sans que ne puisse lui être opposé le caractère non-professionnel de sa créance.

En l’espèce, un entrepreneur individuel a, par une déclaration d’affectation déposée le 24 mai 2012, affecté une partie de son patrimoine à son activité professionnelle d’électricien, sous la dénomination « Corsa Lux ».

Ce dernier, exerçant désormais en qualité d’Entrepreneur Individuel à Responsabilité Limitée (EIRL), a déclaré son état de cessation des paiements.

Par un jugement du 13 avril 2015, une procédure de redressement judiciaire, conséquemment convertie en liquidation judiciaire le 8 juin 2015, est ouverte à son égard, sans précision particulière sur sa qualité d’EIRL.

Une banque, qui lui avait consenti un prêt habitat pour l’acquisition de son logement personnel, a déclaré sa créance au passif de la procédure.

La cour d’appel de Bastia (CA Bastia, 12 juillet 2017, n°16/00546) a confirmé l’ordonnance du juge-commissaire ayant rejeté la créance litigieuse. Elle a en effet estimé que le professionnel indépendant avait régulièrement affecté une partie de son patrimoine à son activité professionnelle. Or, elle a relevé que la créance relative au prêt habitat, en ce que ce dernier avait été consenti à titre privé, ne constituait pas une créance née à l’occasion de l’activité professionnelle à laquelle le patrimoine était affecté. Partant, la cour d’appel en a déduit que la créance en cause ne pouvait être admise au passif ; le professionnel indépendant n’étant pas lui-même éligible à titre personnel à une procédure collective.

La banque s’est pourvue en cassation, reprochant à la cour d’appel d’avoir décidé que la procédure collective avait été ouverte à l’encontre de l’EIRL alors même que le professionnel avait omis, tant dans sa déclaration d’affectation, que dans sa déclaration de cessation des paiements, de faire précéder ou suivre sa dénomination des termes « Entrepreneur individuel à responsabilité limitée » ou des initiales « EIRL » tel que l’exige l’article L.526-6, alinéa 4 du Code de commerce. L’appelante a par ailleurs relevé que le jugement d’ouverture – qui a autorité de la chose jugée par l’effet de sa publication au BODACC – a été prononcé à l’encontre de l’entrepreneur individuel à titre personnel, et non pas de l’EIRL, de sorte que sa déclaration de créance ne pouvait être qu’admise.

La Cour de cassation a accueilli le pourvoi et cassé et annulé l’arrêt d’appel.

Elle a en effet relevé que le tribunal avait ouvert une procédure collective à l’encontre de l’entrepreneur individuel exerçant son activité comme EIRL, sans toutefois préciser que la procédure visait les éléments du seul patrimoine affecté à l’activité en difficulté. En outre, elle a relevé que les publications faites du jugement d’ouverture – qui le rendent opposable à tous – ne mentionnaient pas la dénomination sous laquelle le débiteur exerçait son activité d’EIRL, ni même l’expression « entrepreneur individuel à responsabilité limitée » pas plus que les initiales « EIRL », tel que l’exige l’article R.621-8 du Code de commerce.

Par conséquent, il est établi que la procédure collective avait été ouverte, non pas au bénéfice de l’EIRL, mais à l’encontre de l’entrepreneur individuel à titre personnel. La Cour de cassation en a donc déduit que la banque, en tant que créancière personnelle de l’entrepreneur, pouvait valablement déclarer sa créance à la procédure collective telle qu’elle avait été ouverte et rendue publique.

Pour rappel, tout entrepreneur individuel peut en effet affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel sans création d’une personne morale (Code de commerce, art. L.526-6, al. 1). Pour cela, l’entrepreneur doit réaliser une déclaration d’affectation et utiliser, pour l’exercice de cette activité, une dénomination incorporant son nom, précédé ou suivi immédiatement des mots : « Entrepreneur individuel à responsabilité limitée » ou des initiales : « EIRL » (Code de commerce, art. L.526-6, al. 4). La création de cette EIRL lui permet ainsi d’isoler de son patrimoine personnel – dit patrimoine non affecté – certains biens dédiés à son activité professionnelle dans un patrimoine indépendant – dit patrimoine d’affection ou patrimoine affecté.

Il est admis que l’EIRL puisse faire l’objet d’une procédure collective. Lorsque c’est le cas, il est alors fait échec aux principes d’unicité du patrimoine et de l’effet réel de la procédure, en vertu desquels tous les biens composant le patrimoine du débiteur sont soumis à la procédure collective. En effet, seuls les biens composant le patrimoine affecté seront atteints, à l’exclusion de ceux composant le patrimoine non affecté (Code de commerce, art. L.680-2).

La procédure collective est seulement ouverte à l’encontre de l’EIRL à laquelle est rattaché ce patrimoine affecté, sans atteindre toutefois l’entrepreneur personne physique, qui demeure quant à lui in bonis. Par voie de conséquence, seuls les créanciers dont la créance affecte le patrimoine affecté – dits créanciers « professionnels » – peuvent et doivent déclarer leur créance au passif de la procédure. Au contraire, les créanciers dont la créance atteint le patrimoine non affecté – dénommés créanciers « privés » – traitent toujours avec un entrepreneur in bonis. Partant, ces derniers ne peuvent déclarer leur créance au passif de la procédure affectant l’EIRL.

Toutefois, encore faut-il que la procédure collective ait été effectivement ouverte à l’encontre de l’EIRL. Or pour cela, l’avis du jugement d’ouverture doit obligatoirement contenir la dénomination sous laquelle l’EIRL exerce son activité précédemment exigée lors de la déclaration d’affectation (à savoir le nom de l’entrepreneur, précédé ou suivi immédiatement des mots : « Entrepreneur individuel à responsabilité limitée » ou des initiales : « EIRL » – Code de commerce, art. R.621-8, al. 5 et L.526-6, al. 4) ; ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

C’est ce que rappelle expressément la Cour de cassation aux termes de son arrêt du 6 mars 2019. Il est en effet admis que le jugement d’ouverture de la procédure et les publications qui en sont faites acquièrent, à défaut de recours, autorité de la chose jugée et deviennent opposables à tous. Par conséquent, dès lors que la publication du jugement d’ouverture au BODACC mentionne simplement le nom de l’entrepreneur individuel sans aucune précision relative à la qualité d’EIRL du débiteur, la procédure collective est ouverte, non pas à l’encontre de l’EIRL, mais à l’encontre de l’entrepreneur à titre personnel. Partant, les créanciers personnels de ce dernier peuvent et doivent déclarer leur créance au passif de la procédure.

A rapprocher : Code de commerce, art. L.526-6 ; Code de commerce, art. R.621-8 ; Code de commerce, article L.680-2

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