Cass. com., 20 octobre 2021, n°20-16.980
Le créancier, bénéficiaire d’un nantissement du fonds de commerce de la société débitrice ne peut plus se prévaloir du cautionnement consenti par les co-gérants dès lors qu’il renonce, dans le cadre d’un plan de cession, à son nantissement. La subrogation des cautions ne pouvant plus s’opérer, celles-ci sont déchargées de leur engagement au visa des articles 2314 du code civil et L. 642-12 du code de commerce.
Un établissement bancaire avait consenti à une société un prêt destiné à l’acquisition d’un fonds de commerce d’hôtellerie. Ce prêt était doublement garanti par un nantissement du fonds et par le cautionnement des co-gérants.
La société a successivement fait l’objet d’un redressement et d’une liquidation judiciaire. Le Tribunal a ordonné la cession totale de la société.
Dans ce cadre, trois offres de reprises avaient été déposées dont l’une était soumise à la renonciation par la banque à son nantissement.
La banque consent à donner mainlevée moyennant paiement d’une partie de sa créance et délivre parallèlement un commandement de payer.
Estimant que la subrogation dans les droits du créancier bancaire ne pouvait plus s’opérer par le fait de cette mainlevée accordée, les cautions ont saisi le Juge de l’exécution pour être déchargées de leur engagement, au visa des articles 2314 du code civil et L. 642-12 du code de commerce.
Le Juge de l’exécution ayant fait droit à cette demande, la Banque a alors interjeté appel. La Cour d’appel a confirmé en toutes ses dispositions le jugement déféré, estimant que le nantissement du fonds de commerce avait été perdu par le fait exclusif de la banque.
Sur le pourvoi formé par la Banque, la Haute juridiction valide le raisonnement des juges du fond.
Dans cet arrêt publié au bulletin, le Cour de cassation fait une application stricte des dispositions de l’article 2314 du code civil, sans considération des arguments du créancier bancaire qui n’étaient pourtant pas dénués d’intérêt.
Pour en saisir la teneur, il importe au préalable de rappeler que le droit des procédures collectives organise un régime protecteur des créanciers titulaires d’une sûreté spéciale garantissant le financement des biens cédés dans le cadre d’un plan de cession.
L’article L. 642-12 du code de commerce prévoit effectivement, dans son alinéa 4, un transfert de la charge de ces sûretés dans les conditions suivantes :
« Toutefois, la charge des sûretés immobilières et mobilières spéciales garantissant le remboursement d’un crédit consenti à l’entreprise pour lui permettre le financement d’un bien sur lequel portent ces sûretés est transmise au cessionnaire. Celui-ci est alors tenu d’acquitter entre les mains du créancier les échéances convenues avec lui et qui restent dues à compter du transfert de la propriété ou, en cas de location-gérance, de la jouissance du bien sur lequel porte la garantie. Il peut être dérogé aux dispositions du présent alinéa par accord entre le cessionnaire et les créanciers titulaires des sûretés » (version en vigueur antérieurement à l’ordonnance n°2021-1193 du 15 septembre 2021)
En l’espèce, la Banque avait précisément consenti mainlevée de sa sûreté pour permettre à l’offre déposée par le cessionnaire d’être retenue par le Tribunal.
Avait-elle alors agi fautivement au détriment des cautions ? Ces cautions pouvaient-elles se prévaloir de cette renonciation alors que, présentes lors de l’examen de l’offre de reprise, elles l’avaient activement soutenue pour ensuite considérer que la Banque leur avait par sa faute exclusive, fait perdre le bénéfice de subrogation dans les droits attachés au nantissement levé ? C’est ce que soutenait, non sans intérêt, la Banque.
Néanmoins, peut-être faut-il nuancer le propos. Les Sages écartent le raisonnement considérant que la motivation des premiers juges n’est pas sujette à cassation dès lors qu’en acceptant de renoncer à sa sûreté, l’article 2314 du code civil s’applique sans contestation. La solution, certes stricte, n’en est pas moins conforme aux précédentes jurisprudences (Cass. civ. 1ère, 6 juin 2001, n°98-22.640 ; Ch. mixte, 10 juin 2005, n°02-21.296).
On ne peut toutefois être insensible au sort de la Banque qui se voit reprocher le sacrifice qu’elle fait et qui a permis l’adoption d’un plan de cession pérennisant l’activité reprise et les emplois y attachés.
La solution aurait pu être différente si la banque avait su démontrer que la valeur des droits perdus (le nantissement de fonds de commerce) était inférieure à celle des cautionnements.
Notons cependant que la nouvelle version de l’article 2314 du code civil, issue de l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021, exige désormais la caractérisation d’une « faute » du créancier et décharge la caution « à concurrence du préjudice qu’elle subit ». Cette formulation pourrait rapprocher le mécanisme du bénéfice de subrogation de celui de la responsabilité civile. Ainsi que le souligne une partie de la Doctrine, « dans ce cadre-là, c’est […] à celui qui se prévaut d’un préjudice engendré par la faute de démontrer l’un comme l’autre, outre le lien de causalité qui les unit ».
A rapprocher: Cass. civ. 1ère, 6 juin 2001, n°98-22.640 ; Cass. ch. mixte, 10 juin 2005, n°02-21.296 ; Ordonnances n°2021-1192 et n°2021-1193 du 15 septembre 2021 ; F. Reille, Bénéfice d’une sûreté par subrogation : droit perdu par le choix du créancier et décharge de la caution, Editions législatives, 3 nov. 2021