Bail commercial et interruption de l’action en constat de l’acquisition de la clause résolutoire pour défaut de paiement des loyers antérieurs

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RICAU Julie

Collaboratrice

Cass. civ. 3ème, 13 avril 2022, n°21-15.336

L’action introduite par le bailleur avant le placement sous procédure collective du débiteur, en vue de faire constater l’acquisition de la clause résolutoire figurant au bail commercial pour défaut de paiement des loyers ou des charges antérieurs, est soumise à la règle de l’interruption des poursuites individuelles et ne peut donc être poursuivie après ce jugement.

En l’espèce, une société a donné à bail plusieurs locaux commerciaux à une seconde société.

Compte tenu du défaut de paiement des loyers, la société bailleresse lui a signifié, le 2 septembre 2015, un commandement de payer visant la clause résolutoire.

Par suite, la société locataire a assigné la bailleresse en annulation du commandement, demande à laquelle cette dernière a opposé la résiliation du plein droit du bail commercial à la date du 2 octobre 2015.

Par un jugement d’ouverture en date du 6 septembre 2017, soit postérieurement, la société preneuse a bénéficié de l’ouverture d’une procédure de sauvegarde.

La société bailleresse a dès lors déclaré sa créance au passif de cette dernière.

Par un arrêt du 12 janvier 2021, la Cour d’appel de Bordeaux a constaté, à la date du 2 octobre 2015 (soit un mois après la délivrance du commandement demeuré infructueux, conformément à l’article L.145-41 du Code de commerce), la résiliation de plein droit du bail pour défaut de paiement des loyers et a fixé la créance de la société bailleresse au passif de la procédure.

La société preneuse et le commissaire à l’exécution du plan se sont pourvus en cassation, estimant que « la résiliation d’un contrat de bail commercial par le jeu d’une clause résolutoire n’étant acquise qu’une fois cette résiliation constatée par une décision passée en force de chose jugée, la demande du bailleur, présentée postérieurement à l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre du preneur et tendant à faire constater la résiliation du bail commercial sur le fondement d’une clause résolutoire visant des sommes dues antérieurement à l’ouverture de la procédure est soumise à l’arrêt des poursuites individuelles ».

Par un arrêt du 13 avril 2022, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel au double visa des articles L.145-41 et L.622-21 du Code de commerce.

La Haute juridiction retient en effet qu’ « il résulte de la combinaison de ces textes que l’action introduite par le bailleur, avant le placement sous sauvegarde de justice du preneur, en vue de faire constater l’acquisition de la clause résolutoire figurant au bail commercial pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement au jugement d’ouverture de la procédure, ne peut être poursuivie après ce jugement. »

La position retenue en l’espèce s’inscrit dans la lignée traditionnelle de la jurisprudence de la Cour de cassation.

En effet, selon l’article L.622-21 du Code de commerce, le jugement d’ouverture d’une procédure collective interdit ou interrompt tant les actions tendant « à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent » que celles tendant « à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent ».

Tel est donc le cas de l’action en résolution d’un contrat de bail commercial pour défaut de paiement des loyers à leur échéance, puisque celle-ci constitue une action tendant « à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent » au sens dudit texte (Cass. Com., 15 nov. 2016, n°14-25.767).

Appliquée à la matière des baux commerciaux, la Cour de cassation considère en effet de façon constante que l’ouverture d’une procédure collective emporte, sur le fondement de l’article L.622-21, interruption de l’action en résolution du bail commercial pour non-paiement de loyers antérieurs au jugement d’ouverture.

Plus précisément, celle-ci juge que les effets du commandement de payer sont automatiquement suspendus par l’ouverture de la procédure collective lorsqu’à la date du jugement d’ouverture, l’acquisition de la clause résolutoire pour défaut de paiement de loyers antérieurs n’a pas été constatée par une décision de justice passée en force de chose jugée (Cass. civ. 3ème 27 juin 2006, n° 05-14.329 ; Cass. com., 28 oct. 2008, n°07-17.662 ; Cass. com., 15 novembre 2016, n° 14-25.767).

La Cour de cassation fait donc application de sa jurisprudence constante dans le cadre du présent arrêt, considérant que c’est à tort que les juges du fond avaient en l’espèce estimé, afin de déclarer la demande en résiliation du bail recevable, que l’ouverture de la procédure en septembre 2017 n’interdisait pas d’invoquer le bénéfice de la clause résolutoire dont le jeu devait s’apprécier au moment de la délivrance du commandement de payer (soit le 2 octobre 2015).

En effet, dans la mesure où en l’espèce, la décision constatant l’acquisition de la clause résolutoire n’était pas passée en force de chose jugée au jour de l’ouverture de la procédure de sauvegarde du preneur, l’action était interrompue et la bailleresse ne pouvait plus poursuivre l’action antérieurement engagée.

 

A rapprocher : C. com., art. L.141-41 ; C. com., art. L.622-21 ; Cass. civ. 3ème 27 juin 2006, n°05-14.329 ; Cass. com., 28 oct. 2008, n°07-17.662 ; Cass. com., 15 novembre 2016, n°14-25.767

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