Procédure d’insolvabilité et compétence des juridictions françaises

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COOPER Carine

Avocat

Cass, soc, 8 décembre 2021 -n° 20-13.905 – publié au Bulletin

La compétence exclusive de la juridiction d’ouverture de la procédure principale d’insolvabilité pour connaître des actions dérivant de cette procédure doit s’interpréter strictement.

Une société de droit anglais exerçant une activité de courtage sur instruments financiers embauche un salarié en France. Ce dernier exerce ses fonctions sur le site de la succursale parisienne.

Le 19 août 2010, la Haute Cour de Justice du Royaume-Uni ouvre une procédure d’insolvabilité de type administration judiciaire, et désigne un cabinet anglais comme « administrator ».

Par acte du même jour, l’activité, les actifs afférents et les contrats de travail des salariés employés au Royaume-Uni, à Dubaï et en Suisse sont transférés dans le cadre d’un pré-pack cession à une autre société de courtage étrangère. L’acte de cession exclut de la reprise l’activité menée depuis la France, les actifs situés en France et la reprise du contrat de travail du salarié exerçant en France.

Le 28 octobre 2010, une procédure secondaire de liquidation judiciaire est ouverte en France par le Tribunal de commerce de Paris. Dans ce cadre, le salarié de la succursale française est licencié pour motif économique.

Il saisit le Conseil de Prud’hommes pour contester l’absence de transfert de son contrat de travail et donc la cause réelle et sérieuse de son licenciement.

Il considère en effet que l’exclusion de son contrat de travail du pré-pack cession viole le droit au maintien du contrat de travail en cas de maintien de l’activité économique autonome à laquelle il est rattaché. Il invoque à l’appui de sa demande les dispositions d’ordre public de l’article L 1224-1 du code du travail mais également l’article 3 de la directive CE 2001/23 du Conseil du 12 mars 2001.
Le Conseil de Prud’hommes de Paris se déclare compétent pour connaître de sa demande mais le déboute. La Cour d’appel de Paris par un arrêt du 5 novembre 2019 infirme ce jugement, dit le Conseil de Prud’hommes incompétent et renvoie les parties à mieux se pourvoir.

L’article 3§1 du règlement n° 1346/2000, tel qu’interprété par la CJUE, attribue une compétence exclusive aux juridictions ayant ouvert la procédure d’insolvabilité pour connaître de toutes les actions qui dérivent de cette procédure et s’y insère étroitement.

Pour la Cour d’appel, l’action du salarié fondée sur la fraude à la loi anglaise ou aux règles de conflits de lois ou de juridictions en matière de transfert du contrat de travail dérive directement de la procédure d’insolvabilité du Royaume-Uni. Seules les juridictions anglaises peuvent donc connaître de cette demande qui remet en question une décision des juridictions anglaises.

Ce raisonnement est censuré par la Cour de cassation en application des dispositions combinés de l’article 1 du règlement CE n° 44/2001 relatif à la compétence judiciaire et de l’article 3 du règlement CE n°1346/2000 relatif aux procédures d’insolvabilité.
Pour savoir si l’action dérive directement de la procédure d’insolvabilité, la Cour de cassation précise que peu importe que la demande s’inscrive dans le contexte d’une procédure d’insolvabilité à l’étranger. Seul le fondement juridique de l’action doit être pris en compte.

En l’espèce le salarié fonde principalement sa demande sur l’article L 1224-1 du code du travail. Si la société avait cédé ses actifs sans être en procédure d’insolvabilité, le même fondement aurait été applicable.

L’action ne dérive donc pas directement de la procédure collective. Les juridictions anglaises n’ont ainsi pas de compétence exclusive pour connaître de ce litige et le règlement CE n°44/2001 relatif à la compétence judiciaire peut s’appliquer, notamment l’article 19 qui permet la compétence du lieu de travail habituel.

L’article 3§1 du règlement 1346/2000 pose une exception aux dispositions du règlement n°44/2001.

Il doit donc être d’interprétation stricte. C’est à cette interprétation restrictive que procède la Cour de cassation considérant que pour donner compétence exclusive à la juridiction ayant ouvert la procédure d’insolvabilité, l’existence de cette procédure d’insolvabilité doit être non pas un élément de contexte mais la condition préalable nécessaire à l’introduction de l’action.

À rapprocher : L 1224-1 du code du travail ; CJCE, arrêt du 12 février 2009, Seagon, C-339/07, points 21 et 22 ; CJUE, arrêt du 9 novembre 2017, [G] France et [G] Maschinenbau, C-641/16, point 19

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