Elément intentionnel du délit de banqueroute et soustraction consciente aux obligations comptables

Cass. crim., 25 novembre 2020, n°19-85.205

Il résulte de l’article L.654-2 4° et 5° du Code de commerce et de l’article 121-3 du Code pénal que la caractérisation de l’élément intentionnel des délits de banqueroute par absence de comptabilité ou tenue d’une comptabilité manifestement irrégulière suppose la seule conscience de son auteur de se soustraire à ses obligations comptables légales.

En décembre 2008, deux dirigeants d’une société civile immobilière (SCI) ont acquis un terrain, financé en totalité par un découvert en compte d’un montant 1.400.000 euros.

Par un jugement du 15 octobre 2013, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte au bénéfice de la SCI et la date de cessation des paiements a été fixée au 13 septembre 2013.

Sur demande du tribunal, un rapport d’expertise comptable a été établi, faisant état de certaines irrégularités.

A l’issue des investigations, les dirigeants de la SCI ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel des chefs de banqueroute par emploi de moyens ruineux, tenue irrégulière et absence de comptabilité.

Les juges du premier degré ont reconnu les prévenus coupables du délit de banqueroute pour les faits commis à compter du 21 mai 2012, date à laquelle ils ont retenu l’état de cessation des paiements.

Les dirigeants de la SCI ont interjeté appel du jugement. La Cour d’appel a fait droit à leurs demandes et a prononcé la relaxe au motif que la tenue irrégulière de comptabilité pour l’année 2011, et l’absence totale de comptabilité pour les années 2012 et 2013, s’inscrivaient dans un contexte de conflit entre associés et n’avait pas pour finalité de retarder la constatation de l’état de cessation des paiements ou d’affecter l’actif de la SCI dans des conditions qui allaient la mettre dans l’impossibilité de faire face au passif exigible.

La Cour d’appel a en outre déduit de la personnalité des dirigeants ainsi que de leurs comportements, qu’ils n’avaient pas l’intention de maintenir artificiellement l’activité de la SCI avant la date de cessation des paiements telle que fixée par le tribunal de grande instance.

Par un arrêt en date du 25 novembre 2020, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel au visa des articles L.654-2 4° et 5° du Code de commerce et l’article 121-3 du Code pénal, lesquels énoncent :

  • « En cas d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, sont coupables de banqueroute les personnes mentionnées à l’article L.654-1 contre lesquelles a été relevé l’un des faits ci-après : […] 4° Avoir tenu une comptabilité fictive ou fait disparaître des documents comptables de l’entreprise ou de la personne morale ou s’être abstenu de tenir toute comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation ; 5° Avoir tenu une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions légales. » (Article L.654-2 4° et 5° du Code de commerce) ;
  • « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui.

Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer. Il n’y a point de contravention en cas de force majeure. » (Article 121-3 du Code pénal).

Tout d’abord, la Haute juridiction rappelle que la cessation des paiements, constatée par le jugement d’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, est une condition préalable à l’exercice de poursuites des chefs de banqueroute. Néanmoins, elle précise que la date de cessation des paiements retenue par le tribunal est sans incidence sur la caractérisation de la banqueroute, qui peut être retenue pour les faits qui sont antérieurs ou postérieurs à cette date.

Par ailleurs, la Cour de cassation affirme qu’il n’est pas nécessaire de prouver que les dirigeants ont eu la volonté soit d’éviter ou de retarder la constatation de l’état de cessation des paiements, soit d’affecter la consistance de l’actif disponible dans des conditions de nature à placer l’intéressé dans l’impossibilité de faire face au passif exigible. Au contraire, la caractérisation de l’élément intentionnel des délits de banqueroute par absence de comptabilité ou tenue d’une comptabilité manifestement irrégulière suppose uniquement la conscience de son auteur de se soustraire à ses obligations comptables légales, peut important la connaissance des conséquences de ces violations sur le déroulement de la procédure collective.

Ainsi, par cet arrêt la Cour de cassation retient qu’en matière de délit de banqueroute, comme dans de nombreux autres domaines du droit pénal (vente sans facture par un commerçant – Cass. crim., 25 mai 1994, n°93-85.205 ; Exploitation sans autorisation d’une installation classée par un chef d’entreprise – Cass. crim., 25 mai 1994, n°93-85.158) la seule conscience de la matérialité des faits suffit à caractériser l’élément intentionnel.

A rapprocher : Cass. crim., 25 mai 1994, n°93-85.205 ; Cass. crim., 25 mai 1994, n°93-85.158

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