Covid-19 : les rythmes du droit des entreprises en difficulté à l’épreuve du temps

Étude rédigée par Me Geoffroy BERTHELOT - LA SEMAINE JURIDIQUE - Entreprise et Affaires - N° 20 - 14 Mai 2020

Dans le contexte actuel de la crise sanitaire liée à l’épidémie de coronavirus, cette étude fait le point sur l’orchestration temporaire du droit des entreprises en difficulté à travers successivement l’aménagement des rythmes des procédures et l’adaptation des rythmes des règles procédurales.

1 – « Quelque chose est en train de se décider sans nous, il est urgent, si on le peut de prendre une décision ».

2 – La crise sanitaire du Covid-19, changement rapide, involontaire et subi, a obligé le Gouvernement à prendre des décisions pour que la pandémie ne les prenne pas pour nous. Dans le dessein de lutter et d’éradiquer cette crise sanitaire, le législateur a été contraint de prendre des mesures sanitaires d’urgence, qui impactent considérablement l’économie nationale et mondiale, et conséquemment il était impérieux d’accompagner ses mesures sanitaires de mesures économiques.

3 – Dès lors, le Gouvernement a pris des ordonnances les 25 et 27 mars 2020, mesures qui s’imposaient et qui auront manifestement un impact sur la durée des procédures, qui s’inscrivent temporairement à contre-courant des réformes entreprises depuis plus de 15 ans, et qui n’ont eu de cesse de chercher à réduire les délais. Les deux ordonnances du 25 mars adaptent, d’une part, la procédure devant les juridictions judiciaires en assouplissant les modalités de communication, de respect du contradictoire et de tenue des audiences, et, d’autre part, les délais en les prorogeant. L’ordonnance du 27 mars 2020 adapte quant à elle notamment les règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l’urgence sanitaire.

4 – Tout d’abord, les processualistes ne s’y tromperont pas tant ces ordonnances s’inspirent des réformes récentes de la procédure civile, notamment s’agissant des modalités simplifiées de communication entre les juridictions et les parties. Le greffe informe les parties de la sup- pression d’une audience ou d’une audition par tout moyen, notamment électronique. Attachée au respect du principe de contradiction, l’ordonnance étend la qualification « de jugement par défaut » à tout défendeur qui ne comparait pas à l’audience à laquelle l’affaire est renvoyée et qui n’a pas été cité à personne, et permet ainsi l’opposition et le double degré de juridiction. Enfin, les décisions rendues pourront être portées à la connaissance des parties par tout moyen, sans préjudice des règles de notification des décisions. Ensuite, si certes le président de la juridiction peut décider de statuer à juge unique dans l’hypothèse où l’audience de plaidoirie, la clôture de l’instruction ou la décision de statuer selon la procédure sans audience a lieu entre le 12 mars et jusqu’à un mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire, il devra être privilégié en pratique la procédure de l’article 805 du Code de procédure civile prévoyant qu’un juge unique tienne l’audience pour entendre les parties et en rende compte au tribunal dans son délibéré, tel que l’ordonnance en prévoit la possibilité pour les tribunaux de commerce. Enfin, l’audience pourra se tenir par visioconférence ou par tout moyen de communication électronique voire téléphonique, à condition de s’assurer de l’identité des parties et de leurs avocats, et de garantir la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges.

5 – Ensuite, la temporalité des procédures est également adaptée dans les procédures stricto sensu par la prorogation des délais échus pendant la période sanitaire. L’article 1er de l’ordonnance n° 2020- 306 du 25 mars 2020 circonscrit son champ temporel « aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire ». L’article 2 quant à lui détermine son champ matériel par une formule certes large mais pas exhaustive. Cet article in fine précise que le délai initial est réputé observé si l’acte est accompli « dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ». Ainsi, les délais sont par principe prorogés à compter d’un mois après la fin de la période d’urgence sanitaire, pour la durée qui était légalement impartie, mais dans la limite de 2 mois. Il ne s’agit pas d’une suspension qui arrête temporairement le court d’un délai qui recommence à courir lorsque la cause a disparu, ni d’une interruption stricto sensu qui efface le temps déjà couru et qui fait repartir un nouveau délai dès l’acte interruptif épuisé, ni même encore d’un report pur et simple du délai ou de la consécration d’un délai forfaitaire. Le législateur opte pour un mécanisme sui generis commandé par l’apophtegme « contra non valentem agere non currit praescriptio », qui est une mesure d’équité par laquelle le législateur admet qu’une chance supplémentaire soit offerte à celui qui était dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement quelconque résultant de la force majeure. Cette mesure proroge le délai initialement imparti à compter d’un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire, et dans la limite d’une durée de 2 mois. Il s’agit d’un mécanisme de report du terme assorti d’un délai supplémentaire pour accomplir l’obligation positive empêchée. Cette prorogation des délais n’entraîne pas d’interruption des délais ou des instances de sorte que les actes et formalités accomplis durant la période juridiquement protégée sont valides.

6 – Enfin, et dans une certaine continuité, l’ordonnance n° 2020- 341 du 27 mars 2020 adapte temporairement les procédures du livre VI du Code de commerce et du chapitre Ier du livre III du Code rural et de la pêche maritime en favorisant le recours aux procédures préventives et en allongeant les délais des procédures. Certaines mesures s’appliquent pendant l’état d’urgence sanitaire et s’étendent 3 mois après sa cessation et d’autres ne concernent que la période dite « juridiquement protégée » limitée à la période d’état d’urgence sanitaire plus un mois.

7 – Ces ordonnances sont disruptives puisqu’elles sont, contraire- ment aux règles académiques en matière d’application de la loi dans le temps, applicables par principe aux procédures en cours. Cependant, en raison du caractère hétérodoxe de l’allongement des délais des procédures des entreprises ou exploitations agricoles en difficulté, l’ordonnance du 27 mars 2020 a pu anticiper une éventuelle prorogation de l’état d’urgence sanitaire telle que prévue à l’article 4 de la loi du 23 mars 2020, par l’adjonction du délai d’un mois ou de 3 mois, pour ne justement point soumettre lesdites procédures à l’aléa d’une ou plusieurs prorogations de l’état d’urgence sanitaire, et ainsi figer définitivement la durée desdites prolongations qui ne seront dès lors pas affectées par la loi du 11 mai 2020 prorogeant le délai de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet 2020. On peut donc légitimement penser que la durée choisie de ces prolongations cristallise la durée de l’état d’urgence sanitaire inscrite dans l’ordonnance du 27 mars 2020 à une durée de 2 mois, qui se traduira par une maîtrise retrouvée de la temporalité, facteur de réussite des négociations et perspectives d’une entreprise en difficulté.

8 – Nous observerons donc l’orchestration temporaire du droit des entreprises en difficulté à travers successivement l’aménagement des rythmes des procédures, puis l’adaptation des rythmes des règles procédurales.

 

1. Les mesures aménageant les rythmes des procédures

9 – L’appréciation de la situation des entreprises ou exploitations agricoles devait être adaptée dans le dessein d’éviter que la mise en œuvre des mesures de polices administratives ne compromette le recours à l’ouverture d’une procédure préventive ou collective, et de la re- cherche d’une solution pérenne préventive ou la mise en place et l’exécution d’un plan de sauvegarde ou de redressement.

 

A. – L’ouverture des procédures

10 – Il ressort d’une lecture littérale des dispositions de l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 qu’une entreprise ou exploitation agricole en difficulté peut solliciter l’ouverture d’une procédure de conciliation ou d’une procédure collective. Le rapport au Président de la République précise d’ailleurs que seul le débiteur pourra demander l’ouverture d’une procédure. Ainsi, les ouvertures sur assignation d’un créancier sont proscrites jusqu’à l’expiration d’un délai de 3 mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.

11 – Par ailleurs, l’une des mesures emblématiques de cette ordonnance réside dans la « cristallisation » de l’état de cessation des paiements qui devra être apprécié en considération uniquement de la situation du débiteur à la date du 12 mars 2020 et ne pourra en conséquence, sauf cas de fraude, être fixé à une date postérieure. L’analyse et la fixation de l’état de cessation des paiements ne pourront donc être postérieures au 12 mars 2020. Cette cristallisation de l’état de cessation des paiements et l’appréciation en résultant s’appliqueront jusqu’à l’expiration d’un délai de 3 mois après la date de cessation de la période d’urgence sanitaire, soit jusqu’au 24 août 2020. Mais cette date pourrait être portée au 10 octobre 2020, si la prorogation légale de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet 2020, affectait la durée de l’état d’urgence sanitaire telle que mentionnée dans l’ordonnance du 27 mars 2020 à une durée de 2 mois. Cette prolongation jusqu’au 10 octobre 2020 paraît manifestement excessive et conforte ainsi l’analyse selon laquelle le législateur a volontairement figé la durée de l’état d’urgence sanitaire dans son ordonnance du 27 mars 2020.

12 – Cette fixation légale de l’état de cessation des paiements manifeste plusieurs avantages. Les débiteurs pourront ainsi bénéficier d’une procédure de conciliation ou de sauvegarde, bien qu’ils soient en état de cessation des paiements postérieurement au 12 mars 2020, à condition respectivement de ne pas l’être depuis plus de 45 jours ou de ne point l’être au 12 mars. Conséquemment, l’aggravation de la situation du débiteur à compter du lendemain du 12 mars 2020 jusqu’à l’expiration d’un délai de 3 mois après la cessation de l’état d’urgence ne peut faire obstacle à l’ouverture d’une conciliation ou d’une sauvegarde. De la même manière les débiteurs personnes physiques ou les dirigeants des sociétés débitrices n’encourent pas de sanctions personnelles au seul motif d’une déclaration tardive de l’état de cessation des paiements.

13 – Mais, cette fixation légale créera une période suspecte plus ou moins longue pouvant, en l’état de la période d’urgence sanitaire, s’étendre du 12 mars jusqu’à 3 mois après la cessation de cette période soit jusqu’au 24 août 2020, avec le risque de nullité de plein droit ou facultative des actes accomplis durant cette période de plus de 5 mois. L’ordonnance a également aménagé les rythmes des procédures en cours.

 

B. – La poursuite des procédures

14 – Tout d’abord, la durée de la procédure de conciliation est prolongée de plein droit d’une durée égale à celle de la période définie à l’article 1er de l’ordonnance, à savoir de la période d’urgence sanitaire plus 3 mois. Cette disposition est applicable aux procédures de conciliation en cours au 12 mars ou qui seraient ouvertes pendant la période juridiquement protégée. De même, et toujours animée du souci de faciliter les négociations ou leurs reprises, l’ordonnance dis- pose que, jusqu’à l’expiration du délai de 3 mois consécutif à la cessation de la période d’urgence sanitaire, il sera possible d’ouvrir une nouvelle procédure de conciliation sans respecter le délai de 3 mois prescrit à la dernière phrase du deuxième aliéna de l’article L. 611- 6 du Code de commerce. D’aucuns regretteront que ces aménagements ne concernent pas le mandat ad hoc.

15 – Ensuite, la durée de la période d’observation est prolongée de plein droit, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation de la période d’urgence sanitaire, pour une durée équipollente, à celle de la période d’urgence sanitaire plus 1 mois, soit en jusqu’au 24 juin 2020.

16 – L’ordonnance prévoit également l’inapplicabilité de l’article L. 631-15, I jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la date de cessation de la période d’urgence sanitaire. Ainsi, les audiences intermédiaires durant lesquelles « Au plus tard au terme d’un délai de deux mois à compter du jugement d’ouverture, le tribunal ordonne la poursuite de la période d’observation s’il lui apparaît que le débiteur dispose à cette fin de capacités de financement suffisantes » sont purement et simplement supprimées. Toutefois, cette suppression, qui ne vise que le I de l’article L. 631-15, ne fait évidemment pas obstacle à ce que le tribunal puisse être saisi d’une demande de conversion en liquidation judiciaire en vertu du II du même article, dans l’hypothèse où la dégradation de la situation économique serait telle que le débiteur n’a manifeste- ment plus les capacités de financement suffisantes.

17 – Puis, à l’instar de la période d’observation, sont prolongées de plein droit, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation de la période d’urgence sanitaire, pour une durée équivalente, à la période de l’état d’urgence sanitaire plus 1 mois, la durée des plans, du maintien de l’activité en liquidation judiciaire et la durée de la liquidation judiciaire simplifiée, soit jusqu’au 24 juin 2020. En effet, la notion de « période », certes imparfaite et ambiguë, dans la formule « durée équivalente à celle de la période prévue au I », doit s’analyser comme faisant référence à la période « d’état d’urgence plus 1 mois », soit 3 mois, puisque son acception est plus large que celle du délai qu’elle inclut.

18 – En outre, si la crise sanitaire a privé le débiteur en plan de sauvegarde ou de redressement trop longtemps de ressources financières, et dégradé d’autant sa trésorerie pourtant nécessaire au redémarrage de l’activité une fois la cessation de la période d’urgence sanitaire, des délais supplémentaires pourront être accordés uniquement sur requête du commissaire à l’exécution du plan ou du ministère public. D’abord, sur requête du commissaire à l’exécution du plan présentée avant l’expiration d’un délai de 3 mois après la date de cessation de la période d’urgence sanitaire, soit jusqu’au 24 août 2020, le président du tribunal peut prolonger la durée du plan dans la limite d’une durée équipollente à la période de l’état d’urgence sanitaire plus 3 mois, soit une prolongation maximale de 5 mois. Cette prolongation pourrait être d’une durée maximale de 6 mois et 16 jours, si la prorogation légale de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet 2020, affectait la durée de l’état d’urgence sanitaire telle que mentionnée dans l’ordonnance du 27 mars 2020 à une durée de 2 mois. Encore une fois une prolongation de 6 mois et 16 jours n’est manifestement pas sérieuse et conforte l’analyse selon laquelle le législateur a volontairement figé la durée de l’état d’urgence sanitaire dans l’ordonnance du 27 mars 2020. Puis, sur requête présentée par le ministère public dans ce même délai, la prolongation peut être prononcée pour une durée maximale d’un an. Ensuite, et seulement après l’expiration du délai ou- vert pour les requêtes précédentes, soit au-delà d’un délai de 3 mois après la date de cessation de la période d’état d’urgence, autrement dit à compter du 25 août 2020, et durant les 6 mois qui suivent, soit jusqu’au 25 février 2021, le tribunal peut, sur requête du ministère public ou du commissaire à l’exécution du plan, prolonger la durée du plan pour une durée maximale d’un an.

19 – Le rapport au Président de la République précise opportunément que ces prolongations de la durée du plan sont autonomes de la procédure contraignante de la modification substantielle des modalités du plan, laquelle reste par ailleurs envisageable.

Aussi, ces prolongations ne doivent pas s’analyser en des mesures de report d’échéance, mais en un rééchelonnement des échéances prévues, sur la durée ainsi prolongée.

20 – Enfin, ces mesures d’adaptation extrêmement souples de la durée des plans et in favorem permettent, d’une part, de supposer qu’elles puissent être cumulées entre elles, et, d’autre part, de considérer qu’elles sont certes applicables aux procédures en cours mais également aux plans arrêtés jusqu’à l’expiration du délai de la première hypothèse de prolongation (24 août) ou après l’expiration du délai prévu au I mais dans les 6 mois qui suivent dans la seconde hypothèse (25 février 2021), peu important que les échéances deviennent exigibles durant les périodes de référence. Si bien que les dispositions de l’ordonnance relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire ont également vocation à s’appliquer et à se cumuler avec les mesures de prolongation énoncées supra.

 

2. Les mesures aménageant les rythmes des règles procédurales

21 – Si le temps est fixé par la loi, « l’harmonie naîtra du rythme adopté par l’interprète ». Et dans cette course effrénée à la solution économiquement et juridiquement optimale, l’esthétique procédurale devient effectivité de la norme. L’efficience du traitement de la situation des entreprises ou exploitations agricoles commandait un aménagement des délais et de la rythmique d’intervention de l’AGS.

 

A. – L’aménagement apodictique des délais

22 – Tout d’abord, l’ordonnance n° 2020-341 prévoit une prolongation générale des délais de procédure imposés aux mandataires de justice. L’article 1, VI permet au président du tribunal, sur requête de l’administrateur judiciaire, du mandataire judiciaire, du liquidateur ou du commissaire à l’exécution du plan présentée avant l’expiration d’un délai de 3 mois après la date de cessation de la période d’urgence sanitaire, de prolonger les délais qui leur sont imposés d’une durée de 5 mois . Le président du tribunal saisi appréciera souverainement et in concreto dans quelle mesure les circonstances exceptionnelles justifient une prolongation du délai objet de la requête.

23 – Ensuite, l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 s’applique, sauf disposition spéciale contraire, à l’ensemble des délais qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de la période d’urgence sanitaire, autrement appelée « période juridiquement protégée ». Cet article in fine précise que le délai initial est réputé observé si l’acte est accompli « dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ». Ainsi, les délais sont prorogés à compter d’un mois après la fin de la période d’urgence sanitaire, pour la durée qui était légalement impartie, mais dans la limite de 2 mois. Le législateur opte donc pour un mécanisme sui generis commandé par l’apoph-tegme « contra non valentem agere non currit praescriptio », qui est une mesure d’équité par laquelle le législateur admet qu’une chance supplémentaire soit offerte à celui qui était dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement quelconque résultant de la force majeure. Cette mesure proroge le délai initialement imparti à compter d’un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire, et dans la limite d’une durée de 2 mois. Il s’agit d’un mécanisme sui generis de report du terme assorti d’un délai supplémentaire pour accomplir l’obligation positive empêchée.

24 – À titre d’illustration, la circulaire du 30 mars 2020 prend deux exemples explicites reproduits in extenso.

25 – Tout d’abord, le délai de déclaration de créance, prévu par l’article L. 622-24 du Code de commerce et précisé par l’article R. 622- 24, est de 2 mois à compter de la publication du jugement d’ouverture au BODACC.

Dès lors, si le délai expire entre le 12 mars 2020 et l’expiration de la « période juridiquement protégée », le créancier peut valable- ment déclarer sa créance dans les 2 mois suivant l’expiration de cette période, c’est-à-dire dans les 3 mois suivant l’expiration de l’état d’urgence sanitaire, sans avoir à présenter une demande de relevé de forclusion.

En revanche, si le délai de déclaration commence à courir après le délai de protection juridique, et même si la publication concerne un jugement rendu pendant cette période, et, plus généralement, expire après, le créancier ne bénéficiera pas d’une quelconque prorogation des délais.

26 – Ensuite, si le délai de 3 mois pour exercer la demande en revendication, prévu par l’article L. 624-9, expire entre le 12 mars 2020 et l’expiration de la « période juridiquement protégée », la revendication peut se faire avant l’expiration du délai de 2 mois suivant la fin de cette période.

De même, dans l’hypothèse où ce délai expire pendant la période juridiquement protégée, le délai d’un mois prévu au deuxième alinéa de l’article R. 624-13, avant l’expiration duquel le demandeur doit, à peine de forclusion, saisir le juge-commissaire de l’action en revendication, court à compter de la fin de la période juridiquement protégée.

27 – Enfin, le délai de réponse à la consultation des créanciers sur les propositions de règlement des dettes prévu à l’article L. 626-5, s’il expire entre le 12 mars 2020 et l’expiration du délai de la « période juridiquement protégée », la réponse des créanciers pourra égale- ment être adressée au mandataire judiciaire dans les 30 jours suivant l’expiration de cette période.

28 – Un raisonnement analogue à celui relatif à la délimitation des durées prévues par l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 aurait été séduisant et probablement souhaitable pour la célérité des procédures, mais il ne serait pas satisfaisant tant la portée de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 est générale. Dès lors, il est à craindre que la prorogation de l’état d’urgence jusqu’au 10 juillet 2020 n’affecte d’autant ces délais. Il est donc peut être urgent que le législateur prenne des dispositions spéciales en sens contraire propres à ces délais pour neutraliser l’allongement mécanique qui résulte de la prorogation légale de l’état d’urgence sanitaire.

29 – Conséquemment, il convient d’être extrêmement vigilant et de prendre en compte la portée de ces dispositions, tout particulière- ment en cas d’ouverture d’une procédure collective pendant la période de protection juridique.

 

B. – L’adaptation de la rythmique de l’AGS

30 – Alors que d’aucuns regrettent que les réformes successives n’aient point saisi l’occasion d’aménager les délais de garantie de l’AGS, force est de constater que l’ordonnance du 27 mars 2020 n’a pas manqué d’adapter les règles de procédures de l’AGS.

31 – En effet, jusqu’à l’expiration d’un délai de 3 mois suivant la cessation de la période d’urgence sanitaire, l’article 1, I, 2°31 permet une prise en charge plus rapide par l’AGS des créances salariales, à la condition que, sans écarter le représentant des salariés ni le juge-commissaire, mais sans attendre leur intervention préalable, le mandataire judiciaire après vérification et établissement des relevés de créances salariales les transmette à l’AGS. Ainsi, l’AGS, qui voit ses règles s’assouplir temporairement, procédera au paiement des créances salariales dans le cadre des redressements et liquidations judiciaires en cours ou ouvertes durant la période d’état d’urgence sanitaire majorée de 3 mois sur simple demande et sous la responsabilité des mandataires judiciaires, et sans vérification a priori des exigences légales. Ce communiqué de l’AGS laisse entendre qu’il puisse y avoir des vérifications a posteriori, d’une part, et que dès lors les mandataires judiciaires ne sont pas dispensées d’observer les exigences légales, d’autre part.

32 – S’agissant, enfin, de l’extension des garanties de l’AGS, l’article 2, II, 2°32 précise que sont prolongés jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la date de cessation de la période d’urgence sanitaire, les délais du 2° et corrélativement du 5° de l’article L. 3253- 8 du Code du travail. Ces dispositions tirent les conséquences de l’éventuelle impossibilité pour les mandataires de justice de respecter strictement les délais imposés pour la prise en charge des créances salariales résultant de la rupture du contrat de travail.

33 – Reste une problématique de taille, qu’est la détermination précise du point de départ et du terme des nombreuses prolongations ainsi consacrées, qui seule permettra une appréhension et une pratique efficientes desdits délais.

La notion de délai est prégnante dans l’organisation procédurale du livre VI du Code de commerce. Or, le principe de prolongation des délais si favorable soit-il en apparence pourrait faute d’être maîtrisé dans tous ses aspects et sa temporalité s’avérer dans sa vision court- termiste, fatal aux débiteurs qu’il tend à servir. Autrement dit, « que vaut l’absoluité des principes, si c’est au détriment de l’humanité et du bon sens ».

Par définition, aucune procédure ne saurait être perpétuelle et doit donc nécessairement être limitée dans sa temporalité. Rousseau a décrit ce rapport à la temporalité centrée non plus sur le temps mais sur la durée. Il exprimait ainsi le paradoxe d’Aristote pour qui le temps n’existe pas puisqu’il est composé du passé, qui n’est plus, du futur, qui n’est pas encore, et du présent qui est évanescent, et disparaît sans cesse. Pourtant, pour lutter contre la pandémie du Covid-19, les autorités publiques, par des mesures historiques, font durer le présent, et ainsi reculer le futur, pour que cette pandémie finisse par passer.

34 – On ne peut se résoudre à penser que le législateur en cristallisant le présent n’envisage pas l’avenir, et qu’il ne fut dès lors animé de cette double influence aristotélicienne-rousseauiste, en refusant que ce présent, qui existe, ne s’inscrive dans la durée.

Ainsi, si le débiteur doit s’abstraire l’espace d’un instant hors de l’écoulement du temps, c’est uniquement en considération du fait que c’est à partir de l’instant que l’homme peut agir sur la durée, et la durée est la « continuation indéfinie de l’existence ». Or, le débiteur, une fois la période d’urgence sanitaire achevée, a bien vocation à continuer d’être, d’exister. La durée de la période d’urgence sanitaire ou de la période juridiquement protégée même prolongée invite le débiteur à la duration.

Le législateur bienveillant et magnanime dans ses dispositifs inédits et temporaires, bien qu’imparfaitement rédigés, est parvenu à déterminer un cadre spatio-temporel à la durée, dans le dessein de soutenir les acteurs économiques. D’aucuns, bien mal avisés, y verraient une invitation à procrastiner. La pratique révélera qui du « procrastinateur » ou de l’acteur de ces délais s’inscrira, avec le concours de « professionnels compétents » reconnus, dans la durée. Mais une chose est certaine, le coronavirus ne résistera pas au conatus.

 

L’essentiel à retenir : La procédure de conciliation est prolongée de plein droit d’une durée égale à la période d’urgence sanitaire plus 3 mois, soit jusqu’au 24 août 2020. La cristallisation de l’état de cessation des paiements au 12 mars 2020 et l’appréciation en résultant s’appliqueront jusqu’à l’expiration d’un délai de 3 mois après la date de cessation de la période d’urgence sanitaire, soit jusqu’au 24 août 2020. La durée de la période d’observation, des plans, du maintien de l’activité en liquidation judiciaire et de la liquidation judiciaire simplifiée sont prolongées de plein droit, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation de la période d’urgence sanitaire, pour une durée équipollente à celle de la période d’urgence sanitaire plus 1 mois, soit jusqu’au 24 juin 2020. S’agissant des plans, sur requête du commissaire à l’exécution du plan ou du ministère public présentée avant l’expiration d’un délai de 3 mois après la date de cessation de la période d’urgence sanitaire, soit jusqu’au 24 août 2020, le président du tribunal peut prolonger la durée du plan respectivement de 5 mois ou un an maximum. Enfin, à compter du 25 août 2020, et durant les 6 mois qui suivent, soit jusqu’au 25 février 2021, le tribunal peut sur requête du ministère public ou du commissaire à l’exécution du plan, prolonger la durée du plan pour une durée maximale d’un an. Les durées fixées dans l’ordonnance du 27 mars 2020 semblent décorélées de la prorogation de l’état d’urgence sanitaire.

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