L’impact du covid-19 sur les sanctions encourues par le dirigeant

Ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020

Par une Ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l’urgence sanitaire et modifiant certaines dispositions de procédure pénale (ci-après l’« Ordonnance »), le Gouvernement a adopté des mesures temporaires visant notamment à modifier le droit des entreprises en difficulté. Ce dispositif inédit et dérogatoire au droit commun, a notamment pour conséquence une simplification et un assouplissement des obligations légales pesant sur le dirigeant. 

Ce dernier devra cependant être vigilant et veiller à prendre les mesures adéquates afin de faire face à cette mise à l’arrêt forcée, faute de quoi, la mise en œuvre de sa responsabilité pourrait toujours être engagée.

En France, près de 4.000 dirigeants sont sanctionnés chaque année dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire.

En matière de procédure collective plusieurs types de responsabilités pèsent sur le dirigeant, lesquelles peuvent être civiles non pécuniaires (faillite personnelle et interdiction de gérer), civiles pécuniaires (responsabilité pour insuffisance d’actif), et pénales (banqueroute).

Les mesures gouvernementales prises dans le cadre de la crise sanitaire actuelle n’ayant à notre sens pas d’incidence sur les fautes susceptibles d’entrainer une condamnation du dirigeant sur le fondement des dispositions de la faillite personnelle, de l’interdiction de gérer et de la banqueroute – dont les fautes sont limitativement énumérées par les articles L. 653-1 et suivants du Code de commerce – notre propos se limitera à la responsabilité pour insuffisance d’actif des articles L. 652-1 et suivants du Code de commerce.

Un dirigeant peut voir sa responsabilité engagée sur ce fondement dans l’hypothèse où il a commis des fautes de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif de la procédure de liquidation judiciaire.

Parmi les fautes régulièrement relevées par la Jurisprudence et sur lesquelles les mesures gouvernementales sont susceptibles d’avoir une incidence, nous pouvons citer (i) le retard dans la déclaration de cessation des paiements, et (ii) l’absence de dépôt des comptes annuels.

  • Les conséquences du gel de l’appréciation de l’état de cessation des paiements sur la responsabilité des dirigeants

L’une des mesures phare de cette Ordonnance est sans nulle doute celle qui vise à geler l’appréciation de l’état de cessation des paiements au 12 mars 2020.  Ainsi, jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois suivant le terme de l’état d’urgence sanitaire (i.e. jusqu’au 10 octobre), la date d’appréciation de l’état de cessation des paiements des entreprises et des exploitations agricoles est gelée au 12 mars 2020.

En principe, lorsqu’une entreprise se retrouve en état de cessation des paiements le représentant légal a l’obligation de demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans un délai de 45 jours. Le non-respect de cette obligation est une faute de gestion pouvant engager la responsabilité du dirigeant. 

Le Rapport au Président de la République indique que « la fixation au 12 mars 2020 de la date de l’appréciation de l’état de cessation des paiements ne peut être conçue que dans l’intérêt du débiteur, ce qui évite, en outre, qu’il ne s’expose à des sanctions personnelles pour avoir déclaré tardivement cet état ». 

Ainsi, durant cette période, le dirigeant ne saurait voir sa responsabilité personnelle engagée en cas de dépôt de bilan tardif. 

Attention toutefois, le débiteur qui agirait en fraude des droits des créanciers pourrait voir sa responsabilité engagée, l’ordonnance précisant qu’il est dans cette hypothèse fait exception au principe de gel de la date d’appréciation de cessation des paiements.

  • Les aménagements en matière de dépôts des comptes

Pour rappel, les comptes annuels et les comptes consolidés, doivent sauf exceptions être déposés au Registre de Commerce et des Sociétés et faire l’objet d’une publication.

Le non-respect de cette obligation est pénalement sanctionné (amende de 1 500 euros, et de 3 000 euros en cas de récidive) et susceptible d’engager la responsabilité du dirigeant.

Sur le plan civil, le Président du Tribunal de commerce peut, à la demande de tout intéressé ou du ministère public ou encore, de sa propre initiative, statuer par ordonnance de référé et enjoindre sous astreinte au dirigeant de la société concernée de procéder, dans le mois suivant la notification de l’ordonnance, au dépôt des comptes au Registre du Commerce et des Sociétés.

Concernant ces obligations comptables, l’Ordonnance n° 2020-318 du 25 mars 2020 prise en application de la loi d’urgence adoptée dans le contexte de l’épidémie de covid-19 fixe de nouvelles règles quant à l’établissement, l’approbation et la publication des comptes des sociétés commerciales. 

Deux types de mesures viennent assouplir les règles applicables en la matière. A l’exception des sociétés pourvues d’un commissaire aux comptes, l’Ordonnance proroge de trois mois les délais prévus par les textes et les statuts pour l’approbation des comptes, ainsi que la convocation de l’assemblée générale pour l’approbation de ces comptes.

Ces deux dispositifs visent donc à protéger le dirigeant dans l’exercice d’une gestion vertueuse de sa société en période de crise. 

***

Sans qu’elle ne soit abordée expressément, les « Ordonnances Covid », traitent incidemment de la question de la responsabilité du dirigeant durant la pandémie.

Bien que naviguant à vue, le chef d’entreprise devra tenir le cap, en se servant de l’arsenal juridique mis à sa disposition.

Par ces dispositifs exceptionnels, les dirigeants sont protégés et soutenus afin de limiter l’impact de l’épidémie à leur égard. Dans le même sens, on notera que l’ouverture de procédures dites préventives ayant l’avantage de se dérouler sous l’égide d’un mandataire de justice, permettront aux dirigeants de ne pas surmonter seuls leurs difficultés. Enfin, concernant la chambre des sanctions du tribunal de commerce de Paris, elle a pour l’heure suspendu l’ensemble de ses travaux.

Le temps des comptes viendra après la crise. 

A rapprocher : Ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 ; Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 ; Circulaire n°CIV/03/20 du 30 mars 2020 ; Ordonnance n° 2020-318 du 25 mars 2020 ; Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ; Articles L.653-1 et suivants du Code de commerce ; Articles L. 652-1 et suivants du Code de commerce.

Sommaire

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