Les entreprises en plan de sauvegarde ou redressement face au Covid-19

Les entreprises bénéficiant de plans de sauvegarde ou de redressement sont, dans le contexte sanitaire actuel, particulièrement exposées au risque de défaillance. Dans ce contexte, des mesures ont été prises s’agissant de la prolongation de la durée de ces plans de sauvegarde ou de redressement.

Si ces mesures apparaissent opportunes compte tenu du contexte, elles laissent néanmoins en suspens un certain nombre de questions.

Les mesures mises en place afin de lutter contre l’épidémie de Covid-19 impactent significativement l’activité des entreprises françaises, et plus particulièrement, les entreprises bénéficiant d’un plan de sauvegarde ou de redressement, et ce alors même que l’entreprise est redevenue in bonis par suite de l’arrêté du plan.

Dans ce contexte et afin d’éviter toute aggravation de la situation de ces entreprises particulièrement exposées au risque de défaillance, l’ordonnance n°2020-341 du 27 mars 2020 prévoit les trois dispositifs suivants :

 

  • Une prolongation automatique de la durée des plans de sauvegarde et de redressement jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, soit jusqu’au 10 août 2020 (article 2 – II),
  • Une prolongation de la durée des plans de sauvegarde et de redressement sur autorisation du Président du Tribunal, dans les conditions suivantes (article 1 – IV) :


mars au 10 octobre 2020

octobre 2020 au 10 avril 2021

  • Sur requête du ministère public : prolongation d’un an maximum.

  • Sur requête du commissaire à l’exécution du plan : prolongation de 5 mois maximum.

  • Sur requête du ministère public ou du commissaire à l’exécution du plan : prolongation d’un an maximum.


D’un point de vue procédural, l’ordonnance du 27 mars 2020 précise que la procédure de modification substantielle du plan, prévue aux termes de l’article L.626-26 du Code de commerce, n’aura pas à être respectée. 

Cette position n’est pas étonnante, la jurisprudence ayant d’ores et déjà considéré qu’une simple prorogation du plan ne relevait pas d’une modification substantielle (Cour de cassation, chambre commerciale, 23 novembre 2004, n°02-20700). C’est ainsi en toute logique que l’ordonnance précise que les dispositions de l’article L.626-26 du Code de commerce demeurent applicables, en présence d’une modification substantielle de plan.

Si ces dispositions apparaissent opportunes compte tenu du contexte, elles laissent néanmoins de nombreuses questions en suspens.


Les mesures de prolongation peuvent-elles se succéder dans le temps ?

Oui. Sur ce point, la Circulaire du 30 mars 2020 de présentation des articles 1, 2, 3 et 5 de l’ordonnance du 27 mars 2020 indique expressément que : « ces dérogations, justifiées par l’urgence et le risque d’engorgement des juridictions, doivent être d’interprétation stricte, même si le texte de l’ordonnance permet une application cumulative, et être mises en œuvre avec prudence. Par ailleurs, les dispositions de l’article L. 626-26 demeurent applicables. Ainsi, c’est à titre tout à fait exceptionnel que des délais pourraient être accordés par le président, puis, la situation de l’entreprise ou de l’exploitation s’étant encore aggravée, de nouveau par le tribunal ».

L’entreprise en plan de sauvegarde ou de redressement pourra ainsi bénéficier dans un premier temps de la prolongation de plein droit, puis, si sa situation financière l’exige, bénéficier d’une prolongation supplémentaire sur autorisation du Président du Tribunal. Dans le cas où ces mesures ne suffiraient pas, l’entreprise pourrait envisager la mise en œuvre de la procédure de modification substantielle du plan de sauvegarde ou de redressement, et ce notamment afin d’obtenir le report d’une échéance du plan.


Quelles conditions devront être remplies afin d’obtenir une prolongation du plan de sauvegarde ou de redressement sur autorisation du Président du Tribunal ?

On peut en effet s’interroger sur les conditions qui devront être remplies, et ce afin d’obtenir une prolongation du plan de sauvegarde ou de redressement sur autorisation du Président, l’ordonnance étant muette sur ce point. On peut toutefois penser que, compte tenu du contexte, il devra être démontré, par le ministère public et/ou le commissaire à l’exécution du plan, que l’activité de l’entreprise bénéficiant du plan se trouve impactée par l’épidémie de Covid-19, sans que cela n’affecte durablement son exploitation. Autrement dit, l’entreprise impactée pourrait devoir justifier que ses difficultés ne l’empêcheront pas de faire faire aux prochaines échéances du plan. 

En tout état de cause, faute de conditions imposées par l’ordonnance, il semblerait que la prolongation du plan sur autorisation du Président du Tribunal soit laissée à sa libre appréciation.


La prolongation de la durée des plans de sauvegarde et de redressement entraîne-t-elle un report de l’échéance ? 

On peut en effet s’interroger sur ce point, l’ordonnance n’évoquant qu’une possibilité de prolongation de la durée des plans. Or, il entre dans l’évidence qu’au-delà de cette prolongation, l’entreprise bénéficiant d’un plan de sauvegarde ou de redressement, recherchera davantage à repousser le paiement de l’échéance du plan, et ce afin de soulager sa trésorerie. Sur ce point, la Circulaire du 30 mars 2020 semble adopter une interprétation pragmatique estimant que les prolongations de la durée des plans « justifieront, le cas échéant, un rééchelonnement des échéances prévues par le plan, exigibles après la date de la décision ou après le 12 mars ». Cette interprétation, partagée par la doctrine, ne peut qu’emporter l’adhésion. 

En tout état de cause, il convient de rappeler que la procédure de modification substantielle des plans, laquelle implique une circularisation des créanciers, demeure applicable et pourra, si besoin, permettre aux entreprises bénéficiant d’un plan de sauvegarde ou de redressement, de solliciter le report total ou partiel d’une échéance sur les annuités restantes. 


La décision du Président autorisant une prolongation de la durée du plan peut-elle être contestée ?

L’ordonnance n°2020-341 du 27 mars 2020 est silencieuse sur ce point. Il convient de rappeler qu’en matière de droit des entreprises en difficulté, l’article L.661-1 du Code de commerce dresse la liste des décisions pouvant faire l’objet d’un recours. Plus particulièrement, cet article prévoit qu’un recours peut être exercé à l’encontre des décisions statuant sur la modification du plan de sauvegarde ou du plan de redressement par le débiteur, le commissaire à l’exécution du plan, le comité d’entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel et le ministère public, ainsi que de la part du créancier ayant formé une contestation en application de l’article L. 626-34-1.

Il y a ainsi tout lieu de penser que la décision du Président du Tribunal relative à la prorogation de la durée des plans pourrait être contestée par le commissaire à l’exécution du plan et/ou le ministère public.


Que risque l’entreprise bénéficiant d’un plan de sauvegarde ou de redressement si un dividende n’est pas réglé à échéance durant la période de l’état d’urgence sanitaire ?

En situation normale, l’absence de règlement d’un dividende à échéance, tant au titre d’un plan de sauvegarde que d’un plan de redressement, peut donner lieu à la résolution du plan, puisque s’analysant comme une absence d’exécution des engagements par le débiteur. Outre cette résolution, le Tribunal peut également décider, après avis du ministère public, d’ouvrir une procédure de redressement judiciaire, ou si le redressement est manifestement impossible, une procédure de liquidation judiciaire, sous réserve qu’un état de cessation des paiements soit constaté durant l’exécution du plan (articles L.626-27 et L.631-19 du Code de commerce).

Or, l’ordonnance n°2020-341 du 27 mars 2020 gèle au 12 mars 2020 l’appréciation de la situation de l’entreprise aux fins de caractérisation de l’état de cessation des paiements.

Ainsi, si l’entreprise ne règle pas un dividende arrivé à échéance durant l’état d’urgence sanitaire, et ce sans que la durée du plan n’ait été prolongée, le Tribunal ne pourra se prononcer que sur la résolution dudit plan sans pouvoir ouvrir une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire si l’état de cessation des paiements est constaté après le 12 mars 2020. A contrario, si l’état de cessation des paiements est constaté avant le 12 mars 2020, on peut penser que le Tribunal pourra procéder à la résolution puis à l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.

Il en résulte qu’à défaut de constat d’un état de cessation des paiements avant le 12 mars 2020 et en cas de résolution du plan de sauvegarde ou de redressement, l’entreprise, et elle seule, pourra ou non, solliciter le bénéfice d’une procédure préventive ou collective.

L’ouverture de telles procédures peut toutefois s’imposer de facto, la résolution entraînant notamment l’exigibilité des créances objet du plan. En outre, dans une telle situation et afin de limiter le risque de responsabilité du dirigeant, il semblerait utile que toute mesure soit mise en place afin de traiter les difficultés de l’entreprise, une faute de gestion pouvant toujours être caractérisée notamment au titre de la poursuite d’une activité déficitaire.


Outre les mesures de prolongation, quels sont les autres dispositifs mis à la disposition des entreprises bénéficiant d’un plan de sauvegarde ou de redressement ?

De nombreux dispositifs ont été mis en place afin de soutenir les entreprises françaises face à la crise liée à l’épidémie de Covid-19. Ainsi, d’une part, les entreprises qui bénéficient d’un plan de sauvegarde ou de redressement, peuvent, afin de protéger leur trésorerie, solliciter le report de leurs charges sociales et fiscales. Elles peuvent également, sous conditions, solliciter la suspension du paiement de leur loyer commercial et charges locatives (ordonnance n°220-316 du 25 mars 2016). 

D’autre part, les entreprises qui bénéficient d’un plan de sauvegarde ou de redressement, peuvent également bénéficier de certains financements. Plus particulièrement, l’éligibilité de ces entreprises au Prêt Garanti par l’Etat a été confirmée. Cette éligibilité n’est pas étonnante, les entreprises bénéficiant d’un plan de sauvegarde ou de redressement étant considérées comme in bonis, il n’y avait aucune raison de les exclure du dispositif.

Toutefois, on peut s’interroger sur l’effectivité de ce financement, lequel dépend, il faut le rappeler, de la décision finale de la banque commerciale qui pourra, si elle le souhaite, refuser d’octroyer cet emprunt, et notamment au motif d’une insuffisance de fonds propre ou encore de non-respect des ratios d’endettement. En pareil cas, l’entreprise peut saisir le médiateur du crédit lequel pourra notamment vérifier la recevabilité de sa demande.

***

Il résulte de ce qui précède que les entreprises bénéficiant de plans de sauvegarde ou de redressement, particulièrement exposées au risque de défaillance, disposent de différents outils pour faire face à la crise liée à l’épidémie de Covid-19.

Reste à savoir si l’ensemble de ces mesures suffiront à permettre à ces entreprises d’ores et déjà fragilisées, d’affronter la crise de trésorerie induite par la crise sanitaire actuelle.


A rapprocher : Ordonnance 2020-341 du 27 mars 2020 ; Circulaire n°CIV/03/20 du 30 mars 2020 ; « La réponse du droit des entreprises en difficulté au covid 19 : l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020, portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l’urgence sanitaire », Pierre-Michel LE CORRE, La lettre juridique, avril 2020, édition n°819 du 02 avril 2020 ; Articles L.626-12 et L.631-19 du Code de commerce ; Articles L.626-26 et L.626-31 du Code de commerce ; Articles L.626-27 du Code de commerce.

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