La simple communication, au formalisme atténué, de la décision arrêtant la rémunération du mandataire de justice est équipollente à une notification

Cass. com., 9 juillet 2019, n°18-16.008

Il résulte de l’article R. 663-38 du Code de commerce que la décision statuant sur la rémunération de l’administrateur n’a pas à lui être notifiée mais simplement communiquée, de sorte que les règles posées par ce texte sur le contenu de la notification de cette décision, qu’il réserve au débiteur, ainsi que celles posées par l’article 713 du Code de procédure civile auquel l’article 126 du même code renvoie, ne sont pas applicables.

« De la justice, on ne peut s’exempter, quelque vertu qu’on envisage» (Comte-Sponville A., Petit traité des grandes vertus, 2008, PUF, p. 80).

L’honorariat des mandataires de justice, si nul doute ne résiste qu’il doit être fixé et arrêté justement, c’est toujours commandé par la prudence qu’il le sera, en observant strictement la lettre du texte.

Une attitude prudentielle sera également requise dans l’analyse et l’exercice des voies de recours portant sur la décision arrêtant les émoluments du mandataire de jus­tice en se conformant strictement aux articles R. 663-38 et R. 663-39 du Code de commerce, ensemble les ar­ticles 713 à 715 du Code de procédure civile.

La décision arrêtant la rémunération des mandataires de justice devait être, sous l’empire de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, notifiée dans les 15 jours de sa date, par le greffier au débiteur, mais également au mandataire de justice concerné ainsi qu’au procureur de la République. Depuis le décret n° 2006-1709 du 23 décembre 2006, il n’est plus prévu qu’une simple communication au minis­tère public et au mandataire de justice concerné, mais uniquement dans le dessein d’une rationalisation des coûts. Et il est expressément indiqué que seule la notification doit comporter les modalités procédurales du recours porté devant la juridiction compétente. D’aucuns se laissent à penser que le terme « notification » doit s’entendre largement à l’article R. 663-39 in fine, et que, par conséquent, la simple communication doit revêtir les modalités du recours, sous peine de ne pas faire courir le délai de recours. Mais, il ne saurait s’agir d’une erreur de plume, laissant suggérer que le législateur puisse être éthéré, lorsque la lettre du texte est claire et sans équivoque.

En l’espèce, le redressement judiciaire d’une société X est ouvert le 27 février 2015, et sont désignés deux administra­teurs judiciaires. Par une requête en date du 2 novembre 2016, l’un des administrateurs judiciaires, agissant tant en son nom que pour le compte du second, a demandé la fixation de leur rémunération en application des disposi­tions de l’article R. 663-13 du Code de commerce, celle calculée en application du barème excédant la somme de 1 DO 000 €. La demande a été déclarée irrecevable par une ordonnance du 27 mars 2017 rendue par le magis­trat délégué par le premier président de la cour d’appel. L’administrateur judiciaire, requérant, a formé un recours contre cette décision par une lettre du 12 avril 2017, puis un second recours par une lettre du 7 novembre 2017 en son nom et au nom du second administrateur judiciaire. La société débitrice a contesté la recevabilité du premier recours au motif qu’ïl ne lui avait pas été dénoncé, en mé­connaissance de l’article 715 du Code de procédure civile, et la régularité du second au motif qu’il avait été formé au nom de l’un des administrateurs par l’autre adminis­trateur sans que ce dernier justifie d’un mandat écrit et spécial.

C’est en vain que la société débitrice fait grief à l’ordon­nance de déclarer recevable le second recours. En effet, si, dans l’hypothèse où le jugement d’ouverture a désigné deux administrateurs judiciaires, l’un ne peut, au nom de l’autre, demander la fixation des honoraires dus en application de l’article R. 663-13 du Code de commerce et former un recours contre la décision ayant déclaré sa requête irrecevable qu’à la condition qu’il justifie d’un mandat spécial et écrit de la part de celui pour le compte duquel il agit, l’irrégularité de fond résultant de l’absence d’un tel mandat peut être régularisée avant que le juge statue. L’ordonnance constate que devant la juridiction du premier président, les deux administrateurs judiciaires étaient représentés par le même avocat qui avait conclu en leur nom, ce dont il résulte que le second adminis­trateur judiciaire était régulièrement représenté, et que l’irrégularité de fond affectant tant la requête initiale que le recours avait été couverte avant que le juge statue.

Et la haute juridiction d’ajouter, sur un moyen relevé d’of­fice, après avertissement délivré aux parties qu’il résulte de l’article R. 663-38 du Code de commerce que la décision statuant sur la rémunération de l’administrateur n’a pas à lui être notifiée mais simplement communiquée, de sorte que les règles posées par ce texte sur le contenu de la notification de cette décision, qu’ïl réserve au dé­biteur, ainsi que celles posées par l’article 713 du Code de procédure civile auquel l’article R. 663-39 du Code de commerce renvoie, ne sont pas applicables.

Conséquemment, l’irrégularité au fond affectant tant la requête que le recours peut être couverte jusqu’à ce que le juge statue. Mais surtout, la haute juridiction fait œuvre de pédagogie en rappelant qu’il ne saurait s’agir d’une erreur de plume, lorsque l’article R. 663-38 dispose que la décision arrêtant les rémunérations des administrateurs judiciaires peut être contestée par le mandataire de justice concerné, le débiteur ou le ministère, et qu’à cette fin elle est notifiée uniquement au débiteur dans les 15 jours de sa date, contrairement au ministère public et au mandataire de justice concerné à qui elle est simplement communi­quée par les soins du greffier.

Et seule la lettre de notification doit indiquer le délai et les modalités selon lesquels la contestation peut être portée devant la juridiction compétente. Certes, mais la Cour de cassation se veut rassérénante, en précisant fermement que la simple communication est équipollente à une noti­fication dans sa temporalité et constitue donc le point de départ du délai d’1 mois pour porter un recours par devant la juridiction compétente. La sécurité juridique com­ mandait une telle position de la haute juridiction, qui est emprunte de bon sens. Subséquemment, par l’écoulement du délai uniforme de recours, la décision communiquée ou notifiée, acquerra l’autorité de la chose jugée et sera par conséquent insusceptible de recours, et le mandataire de justice pourra recourir à l’exécution forcée à l’endroit du débiteur.

Il s’agit d’une nouvelle illustration de la spécificité du droit des entreprises en difficulté qui rend délicate la transposition mécanique de certaines règles de droit processuel et « ce sont souvent les problèmes les plus pratiques qui postulent le recours aux concepts fondamentaux » (Motulsky H., Études et notes sur l’arbitrage, 1974, Dalloz, p.441).

 

Source : Gazette du Palais N°35 du 15 octobre 2019

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