Le projet de directive relative aux cadres de restructurations préventifs : vers une harmonisation a minima

Projet de directive européenne relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficacité des procédures en matière de restructuration, d’insolvabilité...

Le Parlement européen a arrêté le 28 mars 2019 sa position sur le projet de directive européenne relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficacité des procédures en matière de restructuration, d’insolvabilité et de remise de dettes.

Ce projet de directive constitue une véritable nouveauté, l’Union Européenne s’étant jusqu’à présent essentiellement contentée de régler – par le biais du Règlement n°2015/848 du 25 mai 2015 (abrogeant le Règlement 1346/2000) – les conflits de juridiction et de loi de faillite entre Etats membres aux termes de règles de droit international privé.

Outre l’instauration de quelques règles de nature à favoriser le rebond de l’entrepreneur en difficulté en assurant un effacement effectif de ses dettes, le projet de directive vise à offrir aux entreprises des Etats membres un cadre juridique harmonisé en matière de restructurations préventives. L’Union Européenne souhaite ainsi favoriser l’anticipation des difficultés, et encourager les investissements transfrontaliers en assurant au créancier une sécurité juridique renforcée. Compte tenu des législations nationales particulièrement disparates, l’Union Européenne privilégie une harmonisation a minima, permettant à certains Etats membres de ne pas bouleverser inutilement un système éprouvé et efficace.

Le projet de directive impose aux Etats membres, en ce qui concerne le volet procédure préventive, de veiller à ce que « lorsqu’il existe une probabilité d’insolvabilité, les débiteurs aient accès à un cadre de restructuration préventive leur permettant de se restructurer, en vue de prévenir l’insolvabilité et d’assurer leur viabilité, sans préjudice d’autres solutions visant à éviter l’insolvabilité, et de protéger ainsi les emplois et de main- tenir l’activité économique ».

Les notions d’« insolvabilité » et de « probabilité d’insolvabilité » sont laissées  à  l’appréciation  des  Etats membres. En partant du postulat que l’insolvabilité correspond à l’état de cessation des paiements, pourraient être impactées, comme traitant des « probabilités d’insolvabilité », les procédures françaises de conciliation, sauvegarde, sauvegarde accélérée et sauvegarde financière accélérée.

La transposition en droit interne imposera qu’a minima une procédure préventive soit en conformité avec les dispositions du texte, par le biais de l’adaptation d’une procédure existante, ou au besoin par la création d’une procédure nouvelle.

Au regard du Droit français actuel, la principale modification qui résulterait de la future directive tient en la création de classes de créanciers. Le projet de directive dispose ainsi à ce titre que « les Etats membres veillent à ce que les parties affectées soient réparties dans des classes distinctes représentatives d’une communauté d’intérêt suffisante, sur la base de critères vérifiables, conformément au droit national. Au minimum, les créanciers garantis et non garantis sont répartis en classes distinctes aux fins de l’adoption du plan de restructuration ».

Ce nouveau mécanisme de classes de créanciers (inspiré du Chapter 11 américain et de la procédure d’insolvabilité de droit allemand) est bienvenu tant le mécanisme des comités de créanciers du droit français a montré ses limites en regroupant dans une même classe des créanciers aux intérêts souvent divergents (la possibilité accordée à l’administrateur judiciaire par l’ordonnance du 12 mars 2014 de moduler les droits de vote en prenant en compte d’éventuels garanties et accords de subordination  n’ayant  à ce titre pas eu en pratique l’effet escompté, aucun critère objectif n’ayant été consacré à cette fin). Le nouveau système mis en place par la directive impose a minima la création de deux classes de créanciers, aux fins de distinction (i) des créances garanties par des privilèges et sûretés et (ii) des créances chirographaires, le législateur national étant libre d’imposer la constitution de classes supplémentaires (créanciers senior, mezzanine, etc.).

Afin de faciliter l’adoption du plan de restructuration, le projet de directive instaure également le mécanisme du cross-class cram down (inspiré à nouveau du droit américain), permettant à la juridiction, à la demande du débiteur, d’imposer le plan de restructuration à une ou plusieurs classes dissidentes, à la condition toutefois que le projet de plan de restructuration ait au préalable été approuvé soit (i) par une majorité de classes de créanciers, dont a minima une classe de créanciers disposant d’un rang supérieur aux créanciers chirographaires, soit (ii) par au moins une classe de créanciers dont les créances auraient été réglées au moins partiellement dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire.

Autre innovation intéressante au regard du Droit français, le projet impose aux Etats membres de mettre en place le mécanisme du best interest of creditors test, interdisant qu’un créancier ayant voté contre l’adoption du plan de restructuration soit moins bien traité que dans une situation de liquidation des actifs du débiteur.

En ce qui concerne les autres dispositions du projet, il est intéressant de souligner qu’elles ont été fortement inspirées par le Livre VI du Code de commerce français, les règles de la suspension des poursuites individuelles (L.622-21 du Code de commerce) et de la protection des nouveaux financements accordés en procédure préventive (L.611-11 du Code de commerce) – étant à titre d’exemple des notions cardinales du droit des entreprises en difficulté français.

Aussi, en l’état de sa rédaction actuelle et au vu de la latitude laisser aux Etats membres, la transposition du projet de directive en droit interne – dont le Gouvernement a d’ores et déjà été habilité à cette fin par la Loi n°2019-486 du 22 mai 2019, dite loi PACTE – ne nécessitera pas un bouleversement profond du paysage juridique français.

A rapprocher : Loi n°2019-486 du 22 mai 2019, dite loi PACTE

 

Article publié dans le Journal du Management Juridique N°71 (juillet-août 2019)

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