L’omission tardive et délibérée de l’état de cessation des paiements : la question de la rétroactivité

Cass. com., 17 décembre 2017, n°17-18.918

La Cour de cassation, par le filtrage d’une question prioritaire de constitutionnalité, permet de se questionner de nouveau sur l’application rétroactive du nouvel alinéa 3 de l’article L.653-8 du Code de commerce.

Ce qu’il faut retenir : La Cour de cassation, par le filtrage d’une question prioritaire de constitutionnalité, permet de se questionner de nouveau sur l’application rétroactive du nouvel alinéa 3 de l’article L.653-8 du Code de commerce.

Pour approfondir : En l’espèce, un dirigeant de deux sociétés, Monsieur I, placées l’une et l’autre en procédure de liquidation judiciaire en 2013 et 2014, est poursuivi par le Ministère Public dans le cadre d’une action en interdiction de gérer.

Le procureur estimait, en effet, que Monsieur I avait failli dans l’exercice de son mandat social en déclarant tardivement l’état de cessation des paiements de l’une des sociétés. Le Tribunal de commerce de Versailles a fait droit à cette action en condamnant Monsieur I à trois années d’interdiction de gérer.

En cause d’appel, l’ancien dirigeant invoquait les nouvelles dispositions de l’article L.653-8 du Code de commerce (modifié par la loi n°2015-990 du 6 août 2015) selon lequel seul le dirigeant qui omet sciemment de demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements pouvait être sanctionné.

Autrement dit, pour ce dernier, les nouvelles dispositions dont l’entrée en vigueur était postérieure aux faits reprochés, devaient s’appliquer immédiatement à l’instance en cours en application du principe de la loi in mitius ou loi pénale plus douce.

La Cour d’appel a toutefois rejeté cet argument en invoquant, d’une part, le fait que la loi pénale plus douce ne s’appliquait qu’aux sanctions pénales et non aux sanctions civiles dont fait partie l’interdiction de gérer lorsqu’elle est prononcée par une juridiction consulaire.

D’autre part, les juges du fond ont relevé que la loi ne comportait pas de disposition expresse sur l’application rétroactive de ladite loi.

Monsieur I a alors formé un pourvoi en cassation et posé, à cette occasion, une question prioritaire de constitutionnalité qui était la suivante : la modification votée par le législateur qui requiert que le dirigeant ait omis sciemment de déclarer l’état de cessation des paiements dans les 45 jours est-elle conforme au principe de nécessité des peines et à la rétroactivité in mitius qui découlent de l’article 8 de la DDHC dans la mesure où celle-ci ne s’appliquerait pas aux litiges en cours au moment de son entrée en vigueur ?

Indirectement, cette question était l’occasion de remettre en cause l’absence de rétroactivité de la modification législative en cause, d’un point de vue constitutionnel.

La chambre commerciale de la Cour de cassation a toutefois refusé de transmettre cette question au Conseil Constitutionnel, estimant notamment que le caractère sérieux n’était pas rempli en raison du fait que l’interprétation jurisprudentielle de la disposition législative litigieuse n’était pas constante.

Il faut surtout relever la citation par la Cour d’un arrêt du 14 juin 2017 selon laquelle la modification législative en cause ne s’appliquait pas aux litiges en cours en raison de l’absence de caractère interprétatif de la loi du 6 août 2015.

Ainsi, il apparaît que la question prioritaire de constitutionnalité constituait un moyen indirect pour l’ancien dirigeant de faire valoir l’application immédiate de cette nouvelle disposition, question que la Cour de cassation a néanmoins bloquée avant tout examen par le Conseil Constitutionnel.

Reste à savoir désormais si la chambre commerciale de la Cour de cassation réaffirmera expressément, suite au pourvoi formé par Monsieur I concomitamment à cette question, la non rétroactivité de la disposition législative concernée.

A rapprocher : Cass. com., 14 juin 2017, n°15-27.851

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