L’article R. 663-31 du Code de commerce s’applique exclusivement à la rémunération du liquidateur

Cass. com., 19 déc. 2018, n° 17-18851

[…] Lorsque le total de la rémunération du liquidateur calculée en application des dispositions des articles R. 663-18 et suivants du même code excède 75 000 € hors taxes, l’entière rémunération est arrêtée par le magistrat de la cour d’appel délégué par le premier président en considération des frais engagés et des diligences accomplies par le liquidateur et sans qu’il puisse être fait référence au tarif prévu par les articles R. 663-18 et suivants susvisés.

Seul le liquidateur étant expressément visé par ce régime procédural dérogatoire, le mandataire judiciaire reste donc quant à lui soumis à la procédure usuelle pour la fixation de sa rémunération.

***

« Le propre du génie consiste à savoir dans quels cas il faut l’unité et dans quels cas il faut des différences »[1]

La rémunération de l’administrateur judiciaire, du mandataire judiciaire, du liquidateur et du commissaire à l’exécution du plan est déterminée par application de barèmes réglementaires. Pourtant, à titre dérogatoire, des règles procédurales particulières sont prévues lorsque, calculée en application desdits barèmes, la rémunération totale de l’administrateur judiciaire, du liquidateur ou du commissaire à l’exécution du plan dépasse respectivement 100 000 €, 75 000 € ou 15 000 € hors taxes ; dans cette hypothèse, en application des articles R. 663-13, R. 663-31 et R. 663-17 du Code de commerce, le magistrat de la cour d’appel délégué par le premier président arrête « la rémunération en considération des frais engagés et des diligences accomplies par lui [l’administrateur judiciaire, le liquidateur ou le commissaire à l’ exécution du plan] et sans qu’il puisse être fait référence au tarif ».

L’interprétation du « tarif » des mandataires de justice n’en est pas à ses premiers errements. Déjà sous l’empire du décret du 27 décembre 1985[2], antérieurement à sa réforme par le décret du 10 juin 2004[3], une décision retentissante de l’assemblée plénière[4] de la Cour de cassation avait décidé que le représentant des créanciers, qui n’est pas ensuite désigné liquidateur, ne peut percevoir d’honoraires de droit fixe. Il ressortait de cette jurisprudence que le droit fixe n’est dû au mandataire de justice qu’en cas de liquidation judiciaire, que celle-ci résulte d’une conversion d’un redressement ou qu’elle soit ouverte immédiatement. Cette position inique économiquement pour les mandataires de justice avait conduit le pouvoir réglementaire à modifier ce texte, en prévoyant que le représentant des créanciers reçoit, pour l’ensemble de la procédure de redressement judiciaire, un droit fixe. Aussi, dans une décision du 15 février 2011[5], la haute juridiction affirmait sans conviction que dans une liquidation judiciaire concomitante à la résolution d’un plan de continuation, le mandataire de justice désigné représentant des créanciers, puis liquidateur, ne peut prétendre à la perception d’un nouveau droit fixe. Or, il découlait pourtant naturellement de la détermination du champ d’application respectif des articles 12 et 12-1 du décret de 1985 susvisé que leur combinaison était inopérante. En effet, ces articles, régis par le principe de la juste rémunération du « service fait »[6], sont exclusifs l’un de l’autre. Et force est de constater que le second était seul susceptible de s’appliquer en l’espèce et aurait dû conduire à l’allocation non pas d’un « second » droit fixe, mais du droit fixe inhérent à l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire autonome subséquente à la résolution d’un plan.

Le tarif des mandataires de justice a, depuis lors, été réformé en profondeur par le décret n° 2006-1709 du 23 décembre 2006[7], puis réindexé en 2016.

Cependant, si la rémunération de l’ administrateur judiciaire et du mandataire judiciaire (liquidateur) est déterminée par application des barèmes, pourtant, à titre dérogatoire, des règles particulières sont prévues lorsque, calculée en application des barèmes, la rémunération totale dépasse respectivement 100 000€ et 75 000€ hors taxes, auquel cas, en application des articles R. 663-13 et R. 663-31 du Code de commerce, le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel arrête « la rémunération en considération des frais engagés et des diligences accomplies par lui [le mandataire de justice] et sans qu’il puisse être fait référence au tarif ».

En l’espèce, le redressement d’une société, ouvert le 17 janvier 2003 et étendu à quatre sociétés du même groupe un mois plus tard, a abouti à l’arrêté d’un plan, lequel a été résolu avec ouverture subséquente d’une liquidation judiciaire en juillet 2006. Le représentant des créanciers, désigné ensuite commissaire à l’exécution du plan, a saisi le président du tribunal de commerce d’une demande de taxation de sa rémunération due au titre de ses missions.

Le président du tribunal de commerce et, sur recours, celui du tribunal de grande instance, en raison du montant de la demande, ont estimé qu’ils n’étaient pas compétents pour arrêter cette rémunération, et ont renvoyé le mandataire de justice à saisir le magistrat de la cour d’appel délégué à cette fin par le premier président dans les formes prescrites à l’alinéa 2 de l’article R. 663-31 du Code de commerce. Ensuite le premier président de la cour d’appel a retenu par ordonnance qu’il ressort des dispositions du décret du 23 décembre 2006 précité que les procédures en cours ouvertes avant le 1er janvier 2006 demeurent régies par le décret du 27 décembre 1985, également précité, dans sa rédaction antérieure au décret de 2006, sauf si la demande excède le seuil de 75 000 €, et qu’en pareil cas, la demande d’arrêté de la rémunération doit être directement déposée devant le magistrat de la cour d’appel délégué à cette fin par le premier président, conformément aux dispositions de l’article R. 663 31 du Code de commerce.

Cependant, alors qu’il avait constaté qu’il était saisi d’une demande qui ne portait que sur la rémunération du mandataire judiciaire due au titre de sa mission de représentant des créanciers, laquelle était dès lors soumise aux dispositions des articles 13 à 17 et 28 à 30 du décret du 27 décembre 1985 dans leur rédaction antérieure au décret du 10 juin 2004[8], et à celles des articles 12, 12-2 et 22 dans leur rédaction issue de ce dernier décret, le premier président de la cour d’appel a violé, par fausse application, l’article R. 663-31 du Code de commerce.

Subséquemment, la compétence du magistrat de la cour d’appel délégué dépend de l’application de la règle de fixation de la rémunération en considération des frais engagés et des diligences accomplies par les mandataires de justice. Une telle règle se justifie lorsque les éléments de rémunération comprennent un droit proportionnel, lequel, au-delà d’un certain seuil, perd de sa pertinence. Or, la rémunération du mandataire judiciaire ne comportant pas de droit proportionnel, hormis celui prévu à l’article R. 663-25 du Code de commerce (anc. D. n° 85- 1390, 27 déc. 1985, art. 14-1), qui concerne un cas de figure peu fréquent, il n’a donc pas été prévu, à juste titre, que celle-ci soit arrêtée par un magistrat de la cour d’appel délégué au-delà d’un certain seuil.

Dès lors, il ne saurait s’agir d’une erreur de plume[9] laissant suggérer que le législateur puisse être éthéré, dès lors que la lettre du texte est empreinte de bon sens. En effet, le législateur considère qu’il n’y a point de raison de déroger aux règles de droit commun dans la fixation de la rémunération du mandataire judiciaire lorsque les règles usuelles de principe suffisent à fixer et arrêter justement sa rémunération.

 

Si l’honorariat des mandataires de justice doit sans nul doute être fixé et arrêté avec justesse, c’est toujours commandé par la prudence qu’il le sera, en observant strictement la lettre du texte.

Les honoraires des mandataires de justice sont strictement déterminés par application de barèmes fixés par décret. Un tel modus operandi est prescrit du fait de l’intervention de professionnels dictée par la loi et imposée au débiteur par le juge. Le décret du 23 décembre 2006 précité, applicable en l’espèce, s’inspire de l’apophtegme selon lequel « toute peine mérite salaire »[10]. Lors de ses travaux préparatoires, le ministre de la Justice avait d’ailleurs insisté sur le fait que « seul le travail accompli mérite salaire »[11]. Subséquemment, le décret identifie les grandes missions des mandataires de justice afin d’allouer, pour chacune d’elles, une rémunération, et ainsi rechercher une « optimisation du coût judiciaire »[12], dans le dessein « de rendre le tarif des mandataires judiciaires plus juste et plus vertueux »[13].

« De la justice, on ne peut s’exempter, quelque vertu qu’on envisage »[14].



[1] Montesquieu, De l’esprit des lois, L. XXIX, chap. XVIII.

[2] D. n° 85-1390, 27 déc. 1985, fixant le tarif des administrateurs judiciaires en matière commerciale et de mandataires-liquidateurs.

[3] D. n° 2004-518, 10 juin 2004, portant diverses dispositions relatives aux administrateurs judiciaires et aux mandataires judiciaires au redressement et à la liquidation des entreprises.

[4] Cass. ass. plén., 21 févr. 2003, n° 01-16450. V. aussi Cass. com., 3 déc. 1996, n° 93-17786.

[5] Cass. com., 15 févr. 2011, n° 10-10005, V. note crit, Berthelot G., « La liquidation judiciaire concomitante à la résolution d’un plan n’ouvre pas droit à l’allocation d’un nouveau droit fixe », BJE juill. 2011, n° 98, p. 184.

[6] Deharveng J., « Le nouveau tarif des administrateurs et des mandataires judiciaires peut-il influencer le traitement des procédures collectives rénovées par la loi de sauvegarde ? », CDE 2007, dossier 11.

[7] D. n° 2006-1709, 23 déc. 2006, pris en application de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises et portant diverses dispositions relatives aux administrateurs judiciaires et aux mandataires judiciaires.

[8] D. n° 2004-518, 10 juin 2004, portant diverses dispositions relatives aux administrateurs judiciaires et aux mandataires judiciaires au redressement et à la liquidation des entreprises.

[9] Ghandour B., obs. sous Cass. com., 19 déc. 2018, n° 17-18851 : BJE mars 2019, n° 116t7, p. 31.

[10] Froehlich P., « La rémunération des mandataires de justice dans la loi de sauvegarde », Gaz. Pal. 20 janv. 2007, n° G2903, p. 3.

[11] Sénat, séance du 30 juin 2005 (compte-rendu intégral des débats), v. les interventions de Clément P. : JO Sénat CR, 1er juill. 2005, p. 4912.

[12] Deharveng J., « Le tarif des mandataires de justice, organes des procédures collectives », JCP E 2007, 1688.

[13] Rapp. J.-J. Hyest, n° 335, p. 515.

[14] Comte-Sponville A., Petit traité des grandes vertus, 2008, PUF, P. 80.

 

Source : Gazette du Palais N°25 du 9 juillet 2019

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